mardi 8 décembre 2009

UN HOMME EST MORT

Pour cette fin d'années 2009, nous avons voulu vous présenter une lutte sociale sanglante qui s'est déroulée dans les années 50 à Brest avec la CGT, à travers une bande dessinée réalisée par Kris et Etienne Davodeau aux éditions "Futuropolis".
Nous avons choisi des extraits qui relatent la grande grève de mars-avril 1950 à Brest. C'est un souvenir douloureux pour le mouvement syndical qui a vu la répression du pouvoir s'abattre sur les travailleurs et les militants.


CHRONOLOGIE :

  • 12 mars 1950
Le PCF lance un appel à une manifestation, à Brest, le 12 mars pour soutenir une journée nationale pour la paix en Indochine et contre la misère. le rassemblement est interdit par le maire de Brest, représentant le RPR. La manifestation se heurte à deux barrages policiers. un premier barrage est franchi, le deuxième tient et la police disloque le cortège. On signale des blessés légers de part et d'autre.

  • 13 mars 1950
Dès le 13 mars, une spirale contestataire se déploie. Le bâtiment, l'arsenal, les dockers débrayent. Le nombre d'environ 13 000 grévistes est officiellement constaté, dans une ville avoisinant les 150 000 habitants. Quelques accords d'entreprise signés en urgence calment un peu le jeu. C'est ainsi qu'Edouard Mazé, manoeuvre dans l'entreprise du bâtiment Sainrapt-et-Brice, obtient une petite augmentation. Mais le 31 mars, les dokers affrontent police urbaine et gendarmerie au port du commerce. Cinq fûts de vin d'Algérie sont jetés du quai et s'écrasent sur un chaland. Deux cents fûts, vides ceux-là, sont pour les uns jetés sur les forces de l'ordre et pour la plupart jetés à la mer. Il faudra une intervention de la Marine nationale pour les repêcher. Le 1er avril, des chargements de ciment sont répandus sur la chaussée, au port et aux limites campagnardes de la ville. On compte encore 6 000 grévistes. Dans le même temps, le conseil municipal commence à mettre en place une aide alimentaire. C'est à ce propos que, le 14 avril, une délégation menée par Marie Lambert, députée communiste, accompagnée de la présidente de l'UFF se présente à la mairie pour demander "du pain et du lait" pour les enfants. Elles sont expulsées manu militari par les gardes mobiles, tandis que les grévistes restés aux abords de la mairie tentent de pénétrer dans l'enceinte du bâtiment. Ils sont refoulés par quatre pelotons de gendarmes et de gardes mobiles à l'aide de grenade lacrymogènes.

  • 15 avril 1950
Le 15 avril, Pierre Prévosto, responsable du syndicat patronal, est conduit par contrainte mais sans violence jusqu'à la Maison des syndicats où il est sommé de s'expliquer, sans succès. Cette forme de manifestation, certes très humiliante, était coutumière ; cela s'appelait une "conduite de Grenoble" et était généralement imposé aux briseurs de grève. Finalement relâché, Pierre Prévosto porte plainte. Le 16 au matin, Maire Lambert et deux responsables CGT, Cadiou et Bucquet, sont arrêtés et emprisonnés à Landerneau. Le comité de soutien avait envisagé de demander, en respectant les formes, une réunion exceptionnelle du conseil municipal, le lundi 17, afin d'envisager l'augmentation des fonds d'aide aux grévistes. Mais ces arrestations allaient changer évidemment le cours du mouvement. Or, le caractère exceptionnel des mesures répressives - Marie Lambert était en principe couverte par l'immunité parlementaire - fit échouer cette manoeuvre de division. En dépit des contextes national et international, l'unité syndicale fut préservée.

  • 16 avril 1950
Le 16 avril est un dimanche. Une manifestation unitaire rappelant les revendications initiales et exigeant la libération des militants emprisonnés est prévisible pour le lendemain. Le matin, une réunion se tient à la sous-préfecture en présence de membres du cabinet municipal et d'un adjoint. L'interdiction de manifester était monnaie courante à Brest et la situation était bien plus tendue qu'au mois de mars. Il semble pourtant que rien de décisif ne soit sorti de cette réunion. En effet, l'arrêté municipal d'interdiction n'a finalement été signé que dans la nuit du 16 au 17, après consultation du député du Finistère André Colin, par ailleurs Secrétaire d'Etat à l'Intérieur. La présence policière fut particulièrement massive, les consignes allaient à l'évidence dans le sens de la plus grande fermeté incluant l'usage dissuasif des armes, mais la mort d'un homme n'était pas prévue.

  • 17 avril 1950
Un mois de grève et d'affrontements de plus en plus violents pèsent sur les épaules des manifestants comme sur celles des forces de l'ordre. Rien cependant qui distingue radicalement cette manifestation des précédentes. Un député communiste, Alain Signor, est violemment interpellé. Charges, ruptures de barrages policiers, incendies de véhicules, du déjà-vu en quelque sorte en ce mois d'intense conflit. Cependant, le poids inédit d'une présence policière massive déconcerte les manifestants. Le cortège se désorganise, la situation devient confuse, les mouvements de foule imprévisibles. Jusqu'à ce moment que personne ne semble avoir vu venir où un ordre irresponsable fait basculer la journée. Cet ordre a bel et bien été donné. un officier participe d'ailleurs aux tirs : un manifestant a été blessé par une balle d'arme de poing alors que les hommes du rang étaient armés de mousquetons. Le résultat témoigne de l'extrême tension atteinte à ce moment, mais aussi de l'irresponsabilité de l'encadrement. Le fait que la plupart des victimes aient été des militants syndicaux connus a fait penser, au contraire à une action délibérée. Edouard Mazé, un militant de base CGT qui se tenait au côté se son frère Pierre, a été tué.
N'eût été ce tir dramatique, le bilan du 17 n'aurait pas vraiment tranché sur la violence ordinaire de ce mouvement social habituellement vigoureux. 24 gendarmes et 9 CRS furent blessés, dont un seul fut hospitalisé, les autres souffrant d'hématomes divers, d'entorses, de fractures aux doigts... Le nombre des manifestants hospitalisés s'élève à 12, parmi lesquels les victimes des coups de feu ; 14 autres manifestants reçurent des soins pour des blessures légères. Mais un homme était mort, des hommes étaient irrémédiablement atteints dans leur chair et le 17 avril devint ce tournant imprévu de l'histoire ouvrière brestoise.

La mort d'Edourd Mazé émut au-delà des limites partisanes et géographiques : des messages de soutien affluèrent de tout le pays, de Grande-Bretagne, de Belgique... Le 19 avril, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de tout le département se regroupent à Brest. Le cercueil est exposé dans une Maison des syndicats drapée de noir.




















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