mardi 16 mars 2010

JEAN FERRAT : L'hymne à la vie, à l'amour et à la liberté


Un hommage avait été rendu à Jean Ferrat lors de la 12ème édition de la fête du chiffon rouge, le 1er mai 2006. Le chanteur Gérard André avait interprété les plus belles chansons de son répertoire. On se souvient de ce public reprenant La montagne, Ma môme, ou Camarade... Il était à l'unisson de cet immense poète. Jean Ferrat n'est plus et pourtant il continuera de vivre dans nos têtes et dans nos coeurs encore longtemps et sûrement pour toujours.

Le chiffon rouge veut aujourd'hui rendre un vibrant hommage à l'homme qu'il était et à son oeuvre unique, poétique, humaniste et militante. La meilleure façon de le faire c'est de vous faire partager quelques extraits du dossier paru dans le journal L'Humanité du 15 mars 2010.



Il restera vivant


Notre douleur et notre chagrin sont à la mesure de l'admiration et du respect que nous portions à Jean Ferrat. Il était notre ami et nous ressentons le choc de cette "douleur du partir" tout en lui demandant : "Que serais-je sans toi ?", lui qui a tant donné à la culture et à la chanson française. Il était très préoccupé par l'avenir de cette culture que le big business défigure trop souvent.
De son exceptionnelle voix, Jean a chanté la France des combats et de l'émancipation humaine, celle des militants dont les générations ont entonné ses chansons dans les défilés et les meetings. Jean Ferrat était tout entier humanité, porteur de bonté, de poésie, de tendresse. Son oeuvre respire la liberté. Elle se dresse contre les injustices, les guerres, toutes les humiliations et aliénations. Jean était un magnifique et efficace porteur des douleurs et des espoirs du peuple.
Qu'il s'agisse de Ma môme, un appel à l'émancipation des travailleuses, ou j'entends, j'entends, un hymne au combat contre la pauvreté, ou encore la Montagne, véritable appel à préserver la planète et à vivre autrement. Et il faudra sans cesse et toujours , en ces temps si troublés, écouter et faire écouter Nuit et brouillard, qui porte avec force le rejet des haines et du nazisme, pour appeler à une véritable fraternité ceux qui "s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel. Certains priaient Jésus, Jéhova ou Vishnou, d'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel, ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux". Ces paroles ne devraient jamais quitter ni nos mémoires ni nos coeurs. La Jungle ou le zoo est un vibrant plaidoyer pour rechercher un chemin humaniste entre le soviétisme et le capitalisme. Il refusait les prêts-à-penser et tous les endoctrinements, allant jusqu'à interpeller ses amis politiques avec son Camarade ou le Bilan.

Nous perdons un ami très cher, le mouvement progressiste un porte-voix, un créateur de grande qualité, un immense artiste populaire. La France perd l'un de ses grands poètes et chanteurs, interprète incomparable de Jacques Prévert ou de Louis Aragon. L'oeuvre de Jean Ferrat va continuer de vivre en nous avec sa voix si chaude. Notre tristesse est immense mais nous savons que Jean restera vivant.



Sa chanson "Camarade" (1970)

C'est un joli nom Camarade
C'est un joli nom tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cents fleurs du mois de mai
Pendant des années Camarade
Pendant des années tu sais
Avec ton seul nom comme aubade
Les lèvres s'épanouissent
Camarade Camarade

C'est un nom terrible Camarade
C'est un nom terrible à dire
Quand, le temps d'une mascarade
Il ne fait plus que frémir
Que venez-vous faire Camarade
Que venez-vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague
Que le mois d'août s'obscurcit
Camarade Camarade

C'est un joli nom Camarade
C'est un joli nom tu sais
Dans mon coeur battant la chamade
Pour qu'il revive à jamais
Se marient cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai.



Sa chanson "Potemkine" (1965)

M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan
M'en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents

Ma mémoire chante en sourdine
Potemkine

Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le coeur d'un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé

Sur les flots je t'imagine
Potemkine

M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où celui qui a faim va être fusillé
le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers

C'est mon frère qu'on assassine
Potemkine


Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin

Ils tournèrent leurs carabines
Potemkine

M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on punit ainsi qui veut donner la mort
M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on n'est pas toujours du côté du plus fort

Ce soir j'aime la marine
Potemkine





Sa chanson "Le Bilan" (1980)

Ah il nous en ont fait avalé des couleuvres
De Prague à Budapest de Sofia à Moscou
Les staliniens zélés qui mettaient tout en oeuvre
Pour vous faire signer les aveux les plus fous
Vous aviez combattu partout la bête immonde
Des brigades d'Espagne à celles des maquis
Votre jeunesse était l'histoire de ce monde
Vous aviez nom Kostov ou london ou Slanski

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Ah ils nous en ont fait applaudir des injures
Des complots déjoués des dénonciations
Des traîtres démasqués des procès sans bavures
Des bagnes mérités des juste pendaisons
Ah comme on y a cru aux déviationnistes
Aux savants décadents aux écrivains espions
Aux sionistes bourgeois aux renégats titistes
Aux calomniateurs de la révolution

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Ah ils nous en ont fait approuver des massacres
Que certains continuent d'appeler des erreurs
Une erreur c'est facile comme un et deux font quatre
pour barrer d'un seul trait des années de terreur
Ce socialisme était une caricature
Si les temps ont changé des ombres sont restées
J'en garde au fond du coeur la sombre meurtrissure
Dans ma bouche à jamais la soif de vérité

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Mais quand j'entends parler de "bilan" positif
Je ne peux m'empêcher de penser à quel prix
Et ces millions de morts qui forment le passif
C'est à eux qu'il faudrait demander leur avis
N'exigez pas de moi une âme de comptable
Pour chanter au présent ce siècle tragédie
Les acquis proposés comme dessous-de-table
Les cadavres passés en pertes et profits

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

C'est un autre avenir qu'il faut qu'on réinvente
Sans idole ou modèle pas à pas humblement
Sans vérité tracée sans lendemains qui chantent
Un bonheur inventé définitivement
Un avenir naissant d'un peu moins de souffrance
Avec nos yeux ouverts et grands sur le réel
Un avenir conduit par notre vigilance
Envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre
Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui




Sa chanson "Nuit et brouillard" (1963)

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leur ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roue, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir

Ils s'appelaient Jean-pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhova ou Vishnou
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel
ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Il n'arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues

Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare

Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.




Sa chanson "Ma Môme" (1960)

Ma môme, ell' joue pas les starlettes
Ell' met pas des lunettes
De soleil
Ell' pose pas pour les magazines
Ell' travaille en usine
A Créteil

Dans une banlieue surpeuplée
On habite un meublé
Elle et moi
La fenêtre n'a qu'un carreau
Qui donne sur l'entrepôt
et les toits

On va pas à Saint-Paul-de-Vence
On pass' tout' nos vacances
A Saint-Ouen
Comme famille on n'a qu'une marraine
Quelque part en Lorraine
Et c'est loin

Mais ma môme elle a vingt-cinq berges
Et j' crois bien qu' la Saint' Vierge
Des églises
N'a pas plus d'amour dans les yeux
Et ne sourit pas mieux
Quoi qu'on dise

L'été quand la vill' s'ensommeille
Chez nous y a du soleil
Qui s'attarde
Je pose ma tête sur ses reins
Je prends douc'ment sa main
Et j'la garde

On s'dit toutes les choses qui nous viennent
C'est beau comm' du Verlaine
On dirait
On regarde tomber le jour
Et puis on fait l'amour
En secret

Ma môme, ell' joue pas les starlettes
ell' met pas des lunettes
De soleil
Ell' pos' pas pour les magazines
Ell' travaille en usine
A Créteil


Sa chanson "Ma France" (1969)


De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant des les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Eluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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