mardi 14 septembre 2010

A voir : Les Vivant et les Morts

"On va tout faire péter." Combien de fois a-t-on entendu ce cri de désespoir ? Du drame que vivent chaque jour des dizaines de milliers de salariés licenciés, Gérard Mordillat fait un évènement : la grande fresque sociale, "les Vivants et les Morts", adaptée de son roman éponyme, sera diffusée dur France 2 début octobre.

Comment cette fresque sociale; "les Vivants et les Morts, est-elle parvenue à s'imposer dans les programmes de France télévisions ?
Au départ,
je n'avais pas la moindre idée d'en faire un film. Au contraire, j'ai écrit "les Vivants et les Morts" en étant convaincu qu'un film sur ce terrain social serait aujourd'hui impossible en France. Le roman était mon seul espace de liberté. Il suffit de regarder un an de production visuelle et cinématographique pour voir que le monde du travail est quasi absent des écrans. A la lecture du livre, Jérôme Minet, producteur, m'a proposé d'en faire un film. Pendant deux ans, il n'a essuyé que des refus. Un changement à France Télévisions, l'arrivée d'Eric Stemmelen et Jean Bigot, ont rendu le projet possible.
Comment adapte-t-on son propre roman pour la télévision? Quelles étaient vos exigences ?
J'avais le choix entre l'option cinématographique et télévisuelle. Sans hésiter, j'ai choisi la dernière, convaincu que l'essentiel était d'atteindre le public le plus large possible. Ensuite j'ai dû jeter mon livre par la fenêtre et le réinventer par d'autres voies. J'ai réécrit les dialogues. J'ai posé comme condition une liberté totale concernant le choix des acteurs. Je les ai tous reçus personnellement. J'attendais des acteurs qu'ils adhèrent à ce projet. Je leur ai expliqué que c'était une chance exceptionnelle de tourner cette série dans la situation économique, sociale et politique que nous vivions en France, et que cela nous donnait une responsabilité au-delà de l'accomplissement de notre travail. Ils l'ont entendu et se sont tous incroyablement investis.
"les Vivant et les Morts" sera la première fiction télévisuelle française à traiter du monde du travail et des conflits sociaux. Pourquoi, selon vous, une telle frilosité ?
C'est effectivement une première. En France, le monde du travail est exclu du champ artiste acceptable, sauf si on le regarde avec les yeux du XIXe siècle. Le contemporain n'existe pas. Comment se fait-il que si peu d'artistes s'y intéressent, même si c'est en train de changer ? Il suffit de descendre dans la rue pour comprendre que c'est une matière romanesque absolument phénoménale, quand justement l'actualité écrit chaque jour le livre sur lequel on travaille. Le social fait peur ou désintéresse. Ecrire sur le travail, c'est se mettre en marge de la littérature. Et puis la télévision française demeure extrêmement timide sur le plan de la fiction. Finalement, le national-sarkozysme aura peut-être désinhibé les artistes de la même manière que les actions de Margareth Thatcher ont été un stimulant pour la création artistique au Royaume-Uni.
Votre roman a été publié en 2005, entre-temps les conflits sociaux vous ont-ils incité a des changements dans le scénario ?
Non, et c'est plutôt un sujet de tristesse pour moi. La nature des conflits n'a pas bougé d'un pouce. D'où l'importance pour moi que les acteurs soient jeunes. Car, ce qui est dramatique dans ce récit, c'est que ces licenciements touchent des jeunes entre 20 et 30 ans, qui ont de jeunes enfants, qui sont au début de leur vie, et, d'un seul coup, s'ouvre devant aux un gouffre absolu. C'est une dimension importante pour comprendre les ravages du néolibéralisme sur le quotidien des Français.

Pourquoi avez-vous choisi de tourner à Hénin-Beaumont ?
Le symbole était intéressant. C'est une ville du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, ravagée par le chômage, et Marine LePen a décidé d'en faire son fief. Nous y avons reconstitué l'usine de Neuville-en-Ferrain et avons engagé dans l'équipe d'anciens ouvriers qui ont travaillé pendant deux ou trois mois sur le tournage avec nous.
"Les Vivants et les Morts" proposent une lecture complexe des luttes sociales. Comment analysez-vous aujourd'hui le rapport de forces politique à ce sujet ?
La radicalisation des luttes est pour moi une nécessité. Je trouve personnellement dommageable que les grandes centrales syndicales aient déserté le terrain politique. Je ne vois pas comment on peut mener une action syndicale si on ne propose pas, dans le même temps, une autre vision du monde, si on ne démontre pas que le capitalisme n'est pas le stade ultime de l'organisation humaine. Face à cette violence patronale et financière, le monde salarié dans son ensemble ne peut continuer à se conduire si sagement. Jusqu'à quand va durer cette exploitation ? Tout peur basculer, aussi bien vers une insurrection de type révolutionnaire qu'une révolte de type fasciste. Le seul contre-exemple admirable, qui peut redonner espoir, c'est ce qu'a réalisé la CGT avec les travailleurs sans papiers. C'est d'abord une grande victoire sémantique. Même dans les journaux télévisés, on a commencé à parler de "travailleurs sans papiers".
Appréhendez-vous les débats, voire les récupérations politiques que cette diffusion peut susciter ?
J'attends le débat et ils trouveront à qui parler ! J'espère simplement qu'un jour on lise "les Vivants et les Morts", "Notre part des ténèbres" et "Rouge dans la brume" (prochain livre qui sortira en janvier 2011), comme le témoignage le plus juste de ce qui était la situation sociale et économique de la France entre 2005 et 2011. A ce titre, le rôle du roman est inestimable. L'ampleur du texte que l'on peut produire permet d'éviter les raccourcis et montrer la complexité des situations des individus. J'espère que le public aimera mes héroïnes. Car je suis persuadé que si la révolte doit se lever, elle viendra des femmes. Ce sont elles qui ont tenu tête à Margareth Thatcher, grâce à elles que les mineurs n'ont jamais renoncé à défendre leur dignité avec un courage extraordinaire. Les personnages féminins de mes trois livres sont les héritières de ce combat. J'avais suggéré dans une émission de radio, et je réitère aujourd'hui, à Mme Lagarde, qui trouve que tout va pour le mieux, de vivre à Grigny avec deux enfants à charge, un salaire de 800 euros, caissière à temps partiel à Fontenay-sous-Bois. Qu'elle le fasse deux jours pour voir comment le monde va! Je pense qu'il y aurait quelque chose de très "pédagogique" pour elle, vu que c'est un mot à la mode au gouvernement...

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