L'affaire Durand
"Dreyfus, bien qu'innocent, a été condamné parceque juif. Durand, bien qu'innocent, a été condamné parce que secrétaire du syndicat". Ces mots résument parfaitement l'analyse de cet "assassinat social" que présente C. Géeroms, à l'époque secrétaire des syndicats du Havre (La Vie Ouvrière, 5 décembre 1910).
Car l'affaire Durand fut un peu l'affaire Dreyfus de la CGT. Un déni de justice accompli, non par antisémitisme dans ce cas, mais par haine de classe. L'un et l'autre pouvant conduire à des comportements semblables.
Au départ, une grève presque banale. Celle des charbonniers du Havre. Ils sont 6 à 700 à décharger les navires charbonniers, à remplir les soutes à combustible des autres bateaux ou à livrer en ville des sacs de charbon. S'il est des travailleurs au seuil de la misère, c'est bien eux. Des semaines de travail qui souvent ne dépassent pas trois jours. Des salaires au plus bas. Un "fourneau économique" installé sur les quais mêmes fournit la subsistance indispensable. Les nombreux cafés qui ceinturent le port fournissent le reste...
Justement, en ce soir du 9 septembre 1910, une rixe éclate dans l'un de ces bistrots entre quelques charbonniers et Dongé, lui aussi charbonnier, chef de bordée à la Transat, réputé pour être une "brute alcoolique" et présentement briseur de grève, alors qu'il a donné son adhésion au syndicat.
Et Dongé meurt des coups reçus ! Voilà la clef de voûte de l'affaire. Dès le lendemain, Le Havre-Eclair crie au meurtre syndical. L'agent général de la Transat "travaillant" habillement quelques charbonniers, prétend avoir la preuve que "Dongé a été condamné à mort" par l'Assemblée générale des grévistes pour s'être comporté en jaune !
La justice s'ébranle. Durand et deux autres responsables du syndicat sont arrêtés. En novembre, le procès s'ouvre devant les jurés de la Seine-Inférieure. Durand est défendu par Maître Coty. Curieux procès sans preuve où les prétendus témoins ne font que se contredire... Cependant, le 25 novembre, les jurés condamnent Durand à mort, sous l'inculpation de "complicité morale dans le meurtre de Dongé".
Le 28 novembre, 10 000 travailleurs du havre sont en grève pour exiger la révision du procès ( à tout hasard, le 129e d'infanterie avait reçu des cartouches !). Mais l'affaire Durand devient l'affaire de toute la CGT.
Car, s'il est une organisation où l'idée de justice est profondément enracinée...
Cependant, malgré les efforts de la CGT et l'immense mouvement de protestation qu'elle sut impulser à travers la France, l'injustice était trop lourde à supporter : Jules Durand perdit la raison, fut interné à l'asile de Quatre-Mares et y mourut le 20 février 1926.
A l'ombre
Ne vous y trompez pas, ces images sont banales : postier arrêté, mineurs de Courrières arrêtés, cheminots arrêtés... La Belle Epoque préfère les syndicaliste à l'ombre ! Toutes les occasions sont bonnes : grèves, manifestations, journées du 1er mai. Tous les pretextes sont valables : entrave à la sacro-sainte liberté du travail, refus d'obtempérer, outrage à la force publique, bris de propriété, injures à l'armée... Le plateau de la justice penche sans faiblesse quand on lui présente ces meneurs, ces agitateurs, ces fomenteurs de désordre.
C'est ainsi qu'au casier judiciaire de Georges Yvetot, secrétaire de la CGT, on relève en deux ans seulement, le "palmarès" suivant : 1 mois de prison et 100 francs d'amende, le 8 septembre 1903; 2 ans de prison le 27 février 1904; 3 mois de prison et 100 francs d'amende le 28 juillet 1904; 2 mois de prison et 30 francs d'amende le 20 novembre 1904; 3 ans de prison et 100 francs d'amende le 3 décembre 1905, etc. Faisant de nécessité vertu, les syndicalistes ainsi en rupture de vie active mettront à profit ces temps de "liberté" pour étudier, lire, apprendre, acquérir des connaissances théoriques. La prison deviendra souvent une école syndicale de haut niveau.
Et les organisations de secours et de solidarité jouent un rôle d'importance. C'est une vieille tradition dans le mouvement ouvrier que de ne jamais refuser son aide aux camarades victimes de la répression.
C'est ainsi qu'au casier judiciaire de Georges Yvetot, secrétaire de la CGT, on relève en deux ans seulement, le "palmarès" suivant : 1 mois de prison et 100 francs d'amende, le 8 septembre 1903; 2 ans de prison le 27 février 1904; 3 mois de prison et 100 francs d'amende le 28 juillet 1904; 2 mois de prison et 30 francs d'amende le 20 novembre 1904; 3 ans de prison et 100 francs d'amende le 3 décembre 1905, etc. Faisant de nécessité vertu, les syndicalistes ainsi en rupture de vie active mettront à profit ces temps de "liberté" pour étudier, lire, apprendre, acquérir des connaissances théoriques. La prison deviendra souvent une école syndicale de haut niveau.
Et les organisations de secours et de solidarité jouent un rôle d'importance. C'est une vieille tradition dans le mouvement ouvrier que de ne jamais refuser son aide aux camarades victimes de la répression.