mardi 21 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Forfaiture !


Les événements qui, de novembre 1908 à août 1908, ont eu pour cadre la région de Draveil, Vigneux, Villeneuve-St-Georges, offrent un exemple complet et, hélas, presque parfait, d'une répression anti-ouvrière, menée avec détermination, sang-froid et la pire brutalité, sous la conduite, quasiment personnelle, du président du Conseil, qui en héritera, tout au moins du côté des travailleurs, du titre infamant de "Villeneuve-St-Georges-Clémenceau", ou encore de "Clémenceau-le-Tueur".

Rappelons succinctement l'enchaînement des faits. Le 18 novembre, les "carriers" des sablières de la Seine, à Vigneux (la mise en chantier du Métropolitain a provoqué d'énormes besoins en sable), se mettent en grève. Ils exigent 50 centimes de l'heure et la signature d'un contrat engageant tous les patrons des sablières. La nécessité d'une sorte de "convention collective" est déjà perçue. Le 22, les carriers obtiennent satisfaction sur le chapitre des salaires, reprennent le travail et forment un syndicat.
Le 2 mai 1908, la grève éclate à nouveau sur plusieurs fouilles, pour 70 centimes de l'heure et la suppression du travail à la tâche. les patrons se concertent et forment un cartel de défense. Le 21, ils tentent de briser la grève en introduisant des "jaunes". Le 28, vifs incidents entre gendarmes et grévistes, les premiers intervenant pour "libérer" quatre "renards" interceptés par les grévistes.
Le 2 juin, évènement décisif dans la salle du café Ranque, à Draveil, qui sert de permanence aux grévistes. Postés à la porte et aux fenêtres, les gendarmes tirent : deux grévistes tués, dix autres blessés. Dans la nuit même, la CGT placarde l'affiche "Gouvernement d'Assassins".
Le 4, la colère des travailleurs se manifeste à l'occasion des obsèques des deux victimes. Le 5, enterrement d'un jeune garçon de 16 ans qui a succombé à ses blessures. La Fédération du Bâtiment multiplie les menaces de grève générale. Sur place, dans une tension de plus en plus vive, la grève continue, les grévistes exigent la reconnaissance de leur syndicat.
le 27 juillet (déjà presque trois mois de grève), nouvel incident à Vigneux : les gendarmes arrêtent cinq dirigeants syndicaux. La Fédération du Bâtiment décide alors la grève générale avec manifestation sur place pour le 30 juillet.
Le 30 juillet, tout peut arriver... et le pire arrive. Sur le remblai de la voie ferrée, occupé par les manifestants, les dragons chargent et sabrent. Les manifestants sont encerclés. Pour se défendre, ils élèvent quelques barricades dans Villeneuve-St-Georges. Une véritable bataille rangée. Bilan de la journée : quatre morts et de très nombreux blessés.
Le 1er août, Clémenceau fait arrêter sept dirigeants confédéraux. La CGT est amenée à désigner un bureau provisoire pour remplacer les emprisonnés. Le 3 août, un mot d'ordre d'arrêt du travail de 24 heures passera presque inaperçu. Le 4 août, la grève de Draveil est terminée : les carriers reprennent le travail avec 55 centimes au lieu de 50.
Au long de la lutte, nous avons vu apparaître un cartel patronal, formé pour empêcher les patrons d'accorder satisfaction les uns après les autres, et sa liaison étroite avec l'appareil gouvernemental : préfet, sous-préfet, police, ministres mêmes, sans oublier les gendarmes et les dragons... Sans oublier non plus, l'histoire le révèlera par la suite, l'intervention de provocateurs dûment patentés, prônant l'intransigeance, entraînant à des actions "vigoureuses", refusant tout compromis...Et encore, du côté syndical cette fois, abondance de verbiage virulent, de menaces inconsidérées ("on va décider la grève générale..."), de mots d'ordre hasardeux, de jusqu'auboutisme forcené.
Clémenceau recherchait un exemple et voulait briser la CGT ! Il n'a pu la briser. Sans doute même, a-t-il contribué malgré lui à ce que germent certaines réflexions... Le syndicalisme peut-il s'improviser ? La lutte des classes peut-elle négliger la réflexion, l'analyse, la lucidité, l'esprit de responsabilité ?
Le syndicalisme n'est-il pas affaire trop sérieuse pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'apprendre ?
Et, certainement, le conseil formulé par Jaurès portera fruit : "Pour mener ainsi contre le capitalisme une lutte déclarée, systématique et à fond, pour donner à tous les épisodes, à tous les moments de la lutte ouvrière leur pleine valeur, il faut une grande force d'organisation. Il faut que les syndicats puissants, nombreux, largement recrutés servent de base à cette grande action continue. " (L'Humanité, le 3 août 1908).

Le syndicalisme peut-il rêver ?


Alors que les événements tragiques de Villeneuve-St-Georges bouleversent encore les esprits, alors que la grève de 24 heures du 3 août ressemble fort à un échec, alors que les principaux dirigeants de la CGT sont en prison, alors que l'Union des Syndicats de la Seine est expulsée de ses locaux de la rue du Château-d'Eau, cette dernière annonce, par voie d'affiches, un grand meeting sur la "Grève générale".

C'est dire combien le vieux rêve d'un "grand soir syndical" qui permettrait d'un coup l'aboutissement de toutes les espérances, est ancré au plus profond des esprits ! Quinze jours auparavant d'ailleurs, Griffuelhes, secrétaire de la CGT, écrivait dans le Matin : " Seule la grève générale fera surgir la libération définitive, car elle sera pour le salarié le refus de produire pour le parasite et le point de départ d'un mode de production ayant pour seul bénéficiaire le producteur."

Il est vrai que, contrastant avec les sujets d'inquiétude qu'offre l'actualité, le camarade Pataud, secrétaire du syndicat des industries électiques, pourra faire état du succès de la grève qui a plongé Paris dans le noir, la veille au soir, grève menée d'ailleurs pour des revendications strictement professionnelles.

On distribuera à chaque participant au meeting la brochure du camarade Yvetot (secrétaire de la section des Bourses du Travail et, pour l'heure, lui aussi, en prison) : "L'A.B.C. Syndicaliste".

L'A.B.C. du syndicaliste que chaque militant est amené ,un jour ou l'autre, à connaître lui conseille de ne jamais trop rêver... En tout cas, de ne jamais trop prendre ses rêves pour réalité ! Surtout, quand il s'agit de "grève générale".

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