lundi 27 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Sorties de gare


A la gare centrale de la "Seine-Touche", deux sorties fort distinctes. L'une, étroite, où se pressent cantonniers, chefs de gare, ouvriers d'atelier, garde-barrières, mécaniciens, garde-freins et bien entendu, l'éternel lampiste...

L'autre, de dimension respectable, réservée à MM. les directeurs, sous-directeurs et ingénieurs-en-chef des Compagnies.

Image simpliste ? Ouvriérisme primaire ? Relent d'un vieil anarchisme viscéral ?

C'est peut-être vite dit !

Ne trouve-t-on pas, en cette année 1910, six Rothschild dans les fauteuils du conseil d'administration de la Compagnie du Nord : le baron Edouard, le baron Gustave, le baron James, plus le baron Alfred de Londres, Lord Rothschild de Londres encore et Lambert de Bruxelles ?

A la Compagnie du PLM, on retrouve ce bon baron Gustave, tandis qu'Edmond siège à la Compagnie de l'Est. A la Compagnie du Midi, deux très proches de la famille, les Pereire, Edmond et Henry.

A croire, d'ailleurs, que le rail est devenu le nouveau Gotha de la noblesse ! A la Compagnie du Nord, M. le comte Pille-Will, M. le comte de Germiny. A la Compagnie d'Orléans, M. le marquis de Voguë, le compte Ségur, le marquis de Montaigu, le baron de Courcel. Le marquis de la Tour du Pin, le compte Foy. A la Compagnie du midi, le comte d'Hussel.

Aux côtés de ces messieurs au sang bleu, les princes de la finance : MM. le banquiers Hottinger, Adam, Vernes, etc.

Quant à la situation des cheminots, voilà ce que pouvait en écrire la Vie Ouvrière : "Alors que, dans la plupart des industries, les salaires sont en voie de hausse, alors que le coût de la vie a augmenté dans une proportion de 20 % au moins depuis dix ans, les cheminots sont restés avec leurs salaires misérables d'il y a trente ans. Comment font-ils pour joindre les deux bouts ? Moyennant quelles privations arrivent-ils à vivre et à faire vivre une famille ? C'est là un problème douloureux à résoudre."

... Et qui explique cette première grande grève nationale de l'ensemble de la corporation, une grève pour gagner, enfin, une "thune" par jour !


La grève de la "thune"




Ce fut, dans notre histoire, la première grève pour les salaires qui entraîna une corporation entière, à l'échelle du pays. En l'occurrence, celle des cheminots. Il faut dire que le sort du travailleur du rail en 1910 n'a rien d'enviable. S'il bénéficie d'une relative sécurité d'emploi et de la perspective d'une retraite, son pouvoir d'achat ne cesse de baisser et le "poseur" du réseau de l'Etat, avec 2,87 F par jour, aura grand-peine à nourrir sa famille. "C'est bien la faim qui les a soulevés", écrit la Vie Ouvrière.

Les cheminots réclament un minimum de 5 F par jour et joignent à cette revendication la rétroactivité de la loi sur les retraites, la réglementation du travail et le repos hebdomadaire.

Le mouvement éclate le 8 octobre aux ateliers de Tergnier et gagne aussitôt le dépôt de la Chapelle. Le 10, il touche l'ensemble de la Compagnie du Nord (la plus puissante, celle de Rothschild). Le 11, il gagne l'Ouest-Etat et le mot d'ordre de grève générale est lancé. Le 12, le gouvernement mobilise tous les cheminots du Nord, alors que les réseaux Est et PLM décident la grève. Le 13, tous les cheminots sont réquisitionnés. Le Midi, à son tour, décide la grève.

Mais le 13, également, le gouvernement lance 21 mandats d'arrêts contre les dirigeants syndicaux, procède à des arrestations et annonce la découverte d'un complot (il fait même état de "sabotage"). Briand évoque "un mouvement insurrectionnel et révolutionnaire".

Officiellement, il ne s'agit plus d'une grève, mais d'un délit militaire. De leur côté, les grandes compagnies "arrosent" abondamment la presse. C'est un déferlement général d'anathèmes contre les cheminots.

Le 19, le comité de grève décide la reprise du travail. La grève a duré huit jours. Elle a entraîné plus de 80 000 cheminots. Elle sera suivie de plus de 3 000 révocations !

Dans cette lutte d'ampleur nationale, les cheminots se sont heurtés à la fois aux directions des compagnies ferroviaires (à l'époque, elles comptent parmi les plus grosses puissances financières du pays), à l'appareil d'Etat, utilisant l'ensemble de son arsenal de répression (y compris l'armée), mais encore aux "faiseurs d'opinion", la grande presse, manoeuvrée par les compagnies.

Et si, dans l'immédiat, la grève semble se terminer par un échec cruel (La vie Ouvrière consacrera de nombreuses pages à son analyse, car un échec aussi peut et doit permettre de progresser...), dès le début de 1911, satisfaction sera accordée aux cheminots sur deux des revendications de la grève : les 5 F par jour et les retraites.

Aucun commentaire: