Un 1er mai très préparé...
Le charme qui se dégage du dessin de Grandjouan ne doit pas faire illusion... le 1er mai 1906 fut tout autre chose qu'une agréable sortie champêtre.
Son mot d'ordre "à partir du 1er mai, nous ne travaillerons que 8 heures par jour" avait été fixé par le 8ème congrès de la CGT, à Bourges, deux ans auparavant. Ces deux années paraissant nécessaires au Congrès pour préparer une lutte d'un tel niveau, car il ne s'agissait pas moins que d'obtenir la limitation par les travailleurs eux-mêmes de la durée du travail. Une fois leurs 8 heures accomplies, ils quitteraient les ateliers de leur propre chef... et cela quoi qu'en dise le patron !
Si les syndicats préparaient de longue date ce 1er mai, de son côté le gouvernement ne restait pas inactif. Le nouveau ministre de l'intérieur, Clémenceau, vient de s'illustrer en envoyant 20 000 soldats dans le bassin minier pour mater quelques 40 000 mineurs en grève après l'effroyable catastrophe de Courrières. Il annonce au pays l'arrivée imminente d'un "formidable ensemble de grèves" qui cache, à l'en croire, un affreux complot contre la République, fomenté par une coalition des syndicalistes avec les royalistes !.
Le bourgeois prend peur. La Dépêche de Toulouse décrit ainsi l'ambiance : " Un nombre assez sensible de citoyens ont vu venir le 1er mai comme un tremblement de terre ou une éruption de volcan." Les ménagères font des stocks. Les boulangeries même sont dévalisées. On se prépare à la disette...
Effectivement, au matin du 1er mai, Paris et les grandes villes paraissent en état de siège. La troupe est partout. Pour donner le ton, Clémenceau avait fait arrêter la veille Griffuelhes et Monatte, dirigeants de la CGT. Malgrè ce dispositif, la grève est marquante. Plus de 10 000 grévistes à Paris et des arrestations en nombre.
Le lendemain, les maçons parisiens entameront une grève qu'ils prolongeront pendant 42 jours, sans résultat. A Montluçon, la grève durera plusieurs semaines et donnera lieu à des affrontements avec la garde à cheval. Clémenceau s'enfonce dans une politique de répression antisyndicale, qui durera...
Cependant, l'année 1906 comptera plus de 400 000 grévistes et, s'il est loin de satisfaire la revendication des 8 heures (il faudra attendre 1919), le gouvernement est amené à rendre obligatoire le repos hebdomadaire (loi du 13 juillet 1906) dont certains travailleurs ne bénéficiaient même pas...
Car, c'était cela aussi la "Belle époque".
Comment lutter ?
Il n'y a guère plus d'un an, c'était en avril 1905, la grève des porcelainiers de Limoges avait donné lieu à une véritable intervention militaire, à laquelle avait répondu une vigoureuse défense des travailleurs... avec barricades, incendies, attaque de prison, etc... Bilan : un jeune porcelainier tué par les Lebel du 78ème d'Infanterie et une douzaine de blessés par les charges de cavalerie.
Ce qui s'est produit hier à Limoges va-t-il se renouveler en ce mois de septembre 1906 à Grenoble ? C'est la question que chacun est amené à se poser, alors que la grève des métallos de cette ville franchit son dixième jour. En effet...
Le 10 septembre 1906, le préfet envoie 50 gendarmes aux portes de l'usine de boutons Raymond, pour y assurer la "liberté du travail".
Le 11, la grève continuant (et les gendarmes s'étant fait sérieusement houspiller la veille), arrivent en renfort 600 fantassins et 100 cavaliers.
Le 17, la grève continuant (et la combativité des grévistes ne se démentant pas), s'y joignent 80 gendarmes à pied, 40 gendarmes à cheval, 250 cavaliers, 800 fantassins. On atteint le rapport d'un homme en arme pour deux grévistes !
Le 18, la grève continuant (et les échauffourées devenant de plus en plus brûlantes), débarquent en gare 3 bataillons d'infanterie et 4 escadrons de cavalerie, soit près de 2 000 hommes...
Ce n'est plus Grenoble, c'est Austerlitz !
Et pourtant, la grève des métallos continua plus de trois semaines. Si elle ne fut pas victorieuse, elle donna matière à réflexion. Le meilleur moyen de gagner une grève est-il de passer à tabac le substitut du procureur de la République, ou de "démolir" systématiquement les uns après les autres les commissaires de police ? Une minorité "musclée" et agissante est-elle aussi efficace que des syndicats puissants et organisés ? L'action directe, chère aux anarchistes, est-elle bien comprise par l'opinion publique ? Le dirigeants syndicaux, pour reprendre l'expression de Merrheim, peuvent-ils se permettre de "planer au-dessus des masses" ?
Ainsi le mouvement syndical a appris qu'il lui fallait apprendre à lutter. Quant au courage, il en avait à revendre.
Cette "année-force" du syndicalisme que fut 1906 verra son aboutissement au 9ème congrès de la CGT. Le congrès adopte en effet sous le nom de "Charte d'Amiens" un texte qui marquera pour l'avenir certains traits permanents de la CGT : lutte pour la disparition du salariat et du patronat, reconnaissance de la lutte des classes, nécessité de l'action quotidienne contre le capital et, surtout, indépendance totale de l'organisation syndicale par rapport aux partis politiques.
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